UNE LOUVE DANS LA BERGERIE..

Une louve dans la bergerie

Pourquoi l’amour ressemble toujours à un champ de bataille ?

Parce que c’est lui, parce que c’est moi ? Dans une époque marquée par un regain du féminisme, croire que nos transports amoureux ne relèvent que de l’intime est réducteur. De la gestion des fantasmes à celle du bac à linge, il n’y aurait en réalité rien de plus politique que l’amour.

Par Diana ABDOU Le 16 septembre 2023

Chez Hélène de Troie, l’amour est un casus belli, chez Lysistrata l’amour est une force d’interposition. Du coup prétendre opposer l’amour et la guerre, prétendre qu’il faut choisir entre les deux, c’est aussi absurde que choisir entre fromage et dessert… alors qu’on sait très bien qu’il existe des cheesecakes et des tourteaux fromagers pour faire le lien entre les deux. Et je vais même rajouter un troisième exemple, beaucoup moins amusant : les viols de guerre, reconnus comme crimes de guerre par l’ONU depuis 2008. Dans ce cas-là bien sûr, impossible de parler d’amour : la sexualité est juste instrumentalisée pour détruire. Mais attention, l’inverse aussi : aux Etats-Unis, l’historien John Dippel avance que de nombreux hommes s’engagent dans l’armée pour pouvoir améliorer leurs chances de se marier – dans ce cas-là, c’est la destruction qui est instrumentalisée pour accéder à la sexualité.

Faire l’amour, est-ce faire la guerre (par d’autres moyens) ? On a toutes en tête le fameux slogan né dans les années 60 aux Etats-Unis : Faites l’amour, pas la guerre ! Le slogan est punchy, c’est sûr, mais il entraîne tout un tas de questions bizarroïdes : si faire l’amour s’oppose à faire la guerre, alors est-ce que faire l’amour c’est faire la paix – ou au moins la paix des ménages ? On parle bien d’union des corps, ou de “réconciliation” sur l’oreiller ! Mais en même temps… faut pas oublier tout un versant plus belliciste du sexe. Par exemple, notre langage érotique est hyper guerrier : on part en conquête amoureuse, on se bat pour obtenir l’amour de quelqu’un.

Et puis après c’est la confrontation des corps : une fois qu’on a mis son petit soldat au garde-à-vous, les hommes tirent leur coup, ils cartouchent, ils défouraillent, ils plantent le javelot dans la moquette, ils ratissent le bunker (oui cette chronique est sponsorisée par le dictionnaire des synonymes)… Ces métaphores, on va les retrouver dans le marché du sextoy : il y a plein de modèles de jouets sexuels en forme de grenades ou de pistolets… et en même temps, on va trouver une marque Love Not War, l’amour pas la guerre. D’où ma première remarque : étrangement, faire l’amour c’est à la fois faire la paix et faire la guerre. Un partout, balle au centre.

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Un peu simpliste et dommage d’opposer les deux… d’autant qu’on a plein de cas intermédiaires, ne serait-ce que dans les blockbusters de notre culture. Je donne deux exemples. Primo, on peut faire la guerre par amour, c’est toute l’histoire d’Hélène de Troie. Deuxio, on peut arrêter une guerre grâce à l’amour, c’est toute l’histoire de Lysistrata, l’héroïne d’Aristophane qui proposait de couper aux hommes leur énergie guerrière… en leur interdisant d’avoir des rapports sexuels.

Une louve dans la bergerie
Une louve dans la bergerie crédit: @pinterest

Tout ça est très pacifique. On pourrait même arguer que la définition du bon sexe, c’est qu’il nous laisse en paix. Mais du coup, vraie question : si le sexe est objectivement une activité pacifique, pourquoi on s’acharne à l’associer à des fantasmes guerriers – y compris dans les couples les plus pantouflar ? On a l’esprit de contradiction… ou bien il y a quelque chose qui nous excite dans l’idée d’un lit transformé en champ de bataille ? Et puis surtout : à la guerre, faut bien que quelqu’un gagne… Et là moi je pense tout de suite au penseur George Bataille, qui a écrit (en 1957) qu’en érotisme, « le partenaire féminin apparaît comme la victime, le masculin comme le sacrificateur. »

A priori, si on parle d’un rapport sexuel consenti, un rapport tout à fait normal dans le couple, il n’y a pas de part de guerre. A priori, non. Pendant l’acte sexuel, notre corps libère de l’ocytocine, une hormone associée à l’attachement… (c’est pas pour rien que les bonobos se servent du sexe pour résoudre les conflits). Et puis au-delà de la biologie, faire l’amour demande de la coopération, les amants se mettent au service du plaisir en général et peut-être même du plaisir altruiste.

Et là ça devient une question de genre, et surtout ça ouvre un autre dossier : celui de la guerre des sexes. Dans cet imaginaire-là, l’amour est une guerre non pas entre deux amants X et Y, mais entre le masculin et le féminin, qui seraient deux forces opposées, avec des objectifs opposés et des armes opposées.

Dans cet imaginaire-là, les lesbiennes n’existent pas, clairement ça rentrait pas dans le logiciel, les lesbiennes c’est la Suisse du sexe, du côté des non-alignés. Et ce qui est rigolo, c’est que si on pousse le curseur encore un tout petit chouïa plus loin, on arrive sur des positions ultra-ultra-genrées, qui traînent dans notre culture amoureuse : les femmes feraient l’amour pour faire la paix (parce que ça leur permet d’avoir des bébés et d’accomplir leur destin de maman), tandis que les hommes feraient l’amour pour faire la guerre (parce que ça leur permet d’accomplir leur destin de conquérants). Seigneur, où sont les casques bleus. Moi, je propose de sortir des alternatives basiques en rappelant qu’il existe une autre version du slogan “faites l’amour, pas la guerre”… une version plus longue : “faites l’amour, pas la guerre, ou faites les deux : mariez-vous”.

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