La filiation et la transmission des biens et des terres passent traditionnellement par les femmes. “Maisons des femmes”, une immersion dans la société mahoraise, où la possession, Aujourd’hui, avec la départementalisation, la situation évolue, même si le droit coutumier demeure partiellement.
Ce documentaire propose de saisir le fonctionnement de cette société, empreinte de ses héritages africains, bantous et musulmans. Une société où les traditions sont toujours en vigueur malgré la départementalisation récente et sa modernisation.
La femme, pilier central de la famille

La famille mahoraise est matrilinéaire, organisée autour de la femme. La transmission des terres se fait aux filles. Dans l’archipel des Comores, la coutume veut que la famille de la future mariée construise sa maison. Traditionnellement, la maison (dagoni) est construite par les frères et le père sur le terrain familial. Les terrains étant devenu très chers, il est fréquent de construire sur la même parcelle que d’autres membres de la famille en rajoutant un étage. La femme y habite seulement lorsqu’elle est mariée et les époux en prennent possession lors des cérémonies du mariage.
Un mariage dans le respect des traditions

Dans le village de Chirongui, les familles de Yasmina et de Joris s’affairent à la préparation de leur mariage. Les parents offrent à leur fille la maison où son époux va s’installer. À l’instar d’Hidaya, la mère du marié, de Kouraychia, la mère de la mariée ou de Mariame, une amie de la famille, la majorité des Mahoraises perpétuent ce mode d’organisation familiale fondé sur ces principes de droit coutumier transmis par les femmes.
L’évolution de la femme mahoraise

Mère, travailleuse, leader, indépendante ou encore femme au foyer, la femme mahoraise a de multiples facettes, qui ont évolué au fil des générations. Peu à peu, sa place au sein du noyau familial a changé, au même titre que dans la société.
Des femmes, témoins de l’évolution de la condition féminine à Mayotte, racontent leurs histoires.
“Avant, les femmes étaient soumises parce qu’elles ne pouvaient faire autrement.” Ces mots sont ceux d’Irène, une grand-mère de 75 ans, qui se rappelle de ses jeunes années. Née d’un père breton installé à Mayotte, et d’une mère mahoraise, Irène n’échappe à l’éducation réservée à toutes les filles mahoraises, dites de bonnes familles, de sa génération. “J’ai eu la chance d’aller à l’école, ce qui n’était pas le cas de toutes les filles de mon âge à cette période. Mais à 15 ans, j’ai arrêté les études parce que mon père avait décidé qu’il était temps pour moi de me marier”, se remémore-t-elle. Elle, qui veut être sage-femme, se marie finalement à “un bon parti”, lui dit-on à l’époque. Âgée de 16 ans, elle ne s’y oppose pas. “Dans mon temps, c’était normal pour une fille de se marier à cet âge-là. Et j’ai accepté parce que je voulais être libre”, affirme-t-elle. Un moyen de s’émanciper de l’autorité stricte de ses parents.
Mais la liberté n’est que de courte durée puisqu’elle devient rapidement “une machine à faire des bébés”, concède-t-elle. La contraception n’existe pas… Et même lorsqu’elle a été autorisée en France, elle était encore très tabou à Mayotte ! “Les femmes étaient tout le temps enceinte. Moi-même, j’ai eu dix enfants !” Irène avoue avoir avoir essayé de contrôler sa fertilité, notamment à travers des méthodes de grand-mère mais rien ne fonctionne. Elle se retrouve donc à devoir s’occuper de sa maison, de ses enfants et de son mari. “Mon quotidien se résumait à ça. J’ai été éduquée pour être une bonne mère et une bonne épouse”, confie-t-elle.
Durant plusieurs décennies, ce mode de vie est la norme à Mayotte. Devenues mères, ces filles élèvent à leurs tour leurs enfants de cette manière. Sitti, 46 ans, en est la preuve. Elle se souvient parfaitement de la différence de traitement entre ses frères et elle. “Les garçons étaient autorisés à sortir, alors que mes sœurs et moi devions rester à la maison et apprendre à bien tenir un foyer. Et si par malheur on prenait le risque de sortir sans l’autorisation de nos parents, on nous frappait.” Son seul jour de répit coïncide avec celui de l’Aïd. Accompagnées de leurs grands-frères, Sitti et ses sœurs peuvent par exemple aller au cinéma. Des années plus tard, cette mère de famille s’estime tout de même chanceuse sur un point : “Heureusement, nous avions le droit d’aller à l’école, contrairement à d’autres.”

ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ
L’histoire des deux femmes influence logiquement leur rôle de mère. “Quand j’ai commencé à avoir mes enfants, je pensais toujours que c’était mal pour une fille de sortir. Alors les miennes allaient simplement à l’école et puis c’est tout. Avec le temps, j’ai changé et j’élève ma dernière fille différemment. Elle pratique des activités extra-scolaires, elle fait du sport. Je veux qu’elle soit une grande sportive. Elle pourra faire les voyages scolaires, qu’autrefois j’avais interdit à ses grandes sœurs”, promet Sitti. De son côté, Irène se bat pour que ses enfants soient les seuls maitres de leurs vies. “Je voulais absolument qu’ils aillent tous à l’école, particulièrement mes filles. Je leur ai dit qu’elles avaient toutes les cartes en main, et qu’elles devaient bien jouer. L’une d’elle a voulu voyager pour faire des stages à La Réunion et je ne m’y suis pas opposée. Elle a commencé à travailler avant même de se marier”, affirme Irène, un large sourire comme pour marquer sa fierté. Son seul souhait ? Donner le choix à ses filles, chose qu’elle n’a pas eue. “Si une femme veut travailler tant mieux, si elle préfère rester à la maison s’occuper de son foyer c’est bien aussi. Laissez les femmes faire leurs propres choix”, clame Irène.
Mais force est de constater qu’à 75 ans, certains aspects de la modernité ou de l’occidentalisation lui échappent. “Je ne comprends pas qu’une femme puisse avoir plusieurs partenaires. Que vont penser les autres ? Aucune homme ne voudra d’elle après. Les hommes ne sont jamais stigmatisés, alors que les femmes sont traitées de tous les noms. Il faut donc se préserver”, souligne-t-elle. Un point de vue que ne partage pas sa petite-fille Inaya*, 22 ans, qui habite avec elle. “On ne s’entend pas sur ce point et sur d’autres sujets, mais je sais que je ne gagnerai jamais face à elle. Donc par exemple, lorsque je veux sortir, je lui dis que je vais avec des amis sans donner de détails”, avoue la jeune fille sous le regard perçant de sa grand-mère.
Malgré les quelques désaccords entre les deux femmes issues de générations différentes, Inaya sait la chance qu’elle a de pouvoir faire ce qu’elle veut. “Je suis consciente de tous les droits dont je bénéficie en étant une femme du XXIème siècle. Je trouve que les féministes en font trop, mais en même temps c’est ce “trop” de nos ancêtres qui nous a permis aujourd’hui d’avoir tout ce que l’on a.” Mais elle s’interroge également sur toutes les inégalités qui persistent encore de nos jours. “Je ne comprends toujours pas pourquoi les femmes sont moins bien payées que les hommes et surtout pourquoi cette injustice n’est pas réparée.” Sa grand-mère, un brin rebelle, acquiesce. Elle réalise amèrement que même si les causes sont différentes, les femmes seront toujours obligées de se battre pour faire valoir leurs droits.
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