Au cours des dernières décennies, on a pu observer dans chaque génération, des styles différents se marquant dans les aspirations, les représentations, les comportements. S’il y a bien un mouvement dans la durée où se marque une orientation globale, il y a une dominante particulière dans chaque génération. Et certaines d’entre elles, comme la génération qui a participé aux évènements de la fin des années 1960, à travers le moment de 1968, est perçue comme une génération innovante par les sociologues et les historiens.

Dans la perspective des mutations en cours dans nos sociétés, le mouvement se poursuit. Assurément, la mondialisation, la révolution numérique, la prise de conscience écologique ne peuvent pas se développer sans marquer les esprits. Et c’est ainsi qu’on parle aujourd’hui d’une génération Y qui rassemble les jeunes nés dans les années 1980 et 1990. Les changements de mentalité sont rapides et on évoque déjà une prochaine génération Z.

Cependant, notons d’emblée que si les enquêtes mettent bien en évidence des inflexions, la jeunesse n’est pas homogène dans ses conditions sociales et son rapport à la société, et donc dans ses comportements. Si cette réalité appelle la prudence dans les généralisations, il n’en est pas moins vrai qu’on peut constater des changements de mentalité sensibles dans certaines portions des jeunes générations, particulièrement dans le groupe le plus instruit.

Les aspirations nouvelles interpellent les institutions. Elles font irruption dans la vie professionnelle où elles remettent en question les cadres dominants et les institutions établies. Ainsi la génération Y manifeste une recherche de sens et un désir d’accomplissement. La génération suivante poursuit le mouvement vers une recherche accrue d’autonomie et d’initiative.

En Europe, de nombreuses personnes sont montrées du doigt en raison de leur orientation sexuelle, réelle ou perçue, ou de leur identité de genre; de ce fait, elles ne peuvent exercer pleinement leurs droits de l’homme universels. Certaines sont victimes de crimes de haine et ne sont pas toujours protégées contre des agressions pouvant être commises, parfois en pleine rue, par leurs concitoyens.

Parallèlement, les organisations qui les représentent peinent à être reconnues ou à obtenir l’autorisation d’organiser des réunions et des rassemblements pacifiques. Parmi ces personnes, certaines se sont réfugiées dans des Etats membres du Conseil de l’Europe pour fuir des pays où elles risquaient d’être torturées ou exécutées en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Pourtant, rares sont les leaders d’opinion et les responsables politiques qui ont fermement pris position contre la discrimination, la violence et les autres manifestations d’homophobie et de transphobie.

Le pédophile violeur et meurtrier cristalliserait aujourd’hui la figure de l’inadmissible dans nos représentations. Les crimes sexuels, longtemps gardés dans le secret des familles, représentaient entre 1826 et 1840 un cinquième de la criminalité officielle, contre la moitié aujourd’hui. L’abuseur sexuel, même pédophile, a longtemps été toléré par les populations, dès lors qu’il ne s’en prenait pas aux fillettes ou garçons protégées par un statut.

Ce crime fut longtemps pourtant perçu comme un délit sans victime, donc sans peine. Aujourd’hui, les « agressions sexuelles » (art. 222-22 du Code pénal), selon la nouvelle incrimination nettement plus explicite que l’ancien « attentat », rassemblent des atteintes perçues comme insupportables à l’intégrité physique et psychique de la personne dont le consentement a été nié. Les poursuites contre ce type de délinquance ont été multipliées par quatre en 1980 et 2009. Plus de 9 000 personnes sont actuellement détenues en France pour crime ou délit sexuel.

L’abus sur enfants ou jeunes femmes renvoie à la figure du récidivisme, imprévisibilité, diffusion supposée dans le corps social alors que notre société « assurancielle » (Pascal Bruckner) n’admet plus le risque. Le pédophile serait partout parmi nous, comme les voleurs alimentaient l’imaginaire d’une « armée du crime » au XIXe siècle. L’affaire d’Outreau a ranimé la hantise du complot, du trafic d’enfants jusque dans les rangs des magistrats…

Voici quelques rappels historiques qui reprennent les événements ou périodes les plus marquants sur le sujet.

PÉRIODE DE L’ANTIQUITÉ

Dans la société grecque de l’Antiquité, le pouvoir était essentiellement détenu par les hommes. Les femmes sortaient peu et y assumaient leurs taches d’épouse et de mère. L’érotisation des rapports entre hommes était possible mais très codifiée. Ils étaient envisageables mais devaient suivre certaines règles. Celui qui détenait le pouvoir social devait être pénétrant dans le rapport (L’adulte avait le pouvoir sur le plus jeune, le citoyen libre sur l’esclave). D’autre part, le choix de ces relations homosexuels étaient l’apanage des classes sociales dominantes et étaient limitées dans le temps. Cette approche se retrouve chez certaines populations pour lesquelles le fait d’assumer le rôle pénétrant dans une relation avec un autre homme ne fait pas de vous un homosexuel. Des termes comme « lesbienne » ou « saphisme » viennent de Sapho, une poétesse qui vécut dans l’île de Lesbos à la fin du VIIe siècle av. JC. Elle célébrait le désir et l’amour des femmes entre elles.

PÉRIODE MOYEN-AGE

Si, au début du Moyen Age, l’homosexualité est tolérée, elle est par la suite condamnée par l’Eglise. Le 3ème concile du Latran (1179), canon 11, précise : « Tous ceux qui seront convaincus de se livrer à cette incontinence contre nature, seront chassés du clergé s’ils sont clercs, ou relégués dans des monastères pour y faire pénitence […]. Plus tard, l’homosexualité, considérée comme une hérésie, peut aboutir parfois à une condamnation à mort par le bûcher.

PÉRIODE RENAISSANCE

A cette période, l’art est, en partie, sous influence italienne. Les relations sexuelles entre hommes sont perçues comme le « vice » italien. Le « mal » vient de l’étranger. L’influence religieuse s’accentue. Certains rois ont leurs « mignons », privilège de la haute société. C’est également à la Renaissance que se met en place un discours hostile aux amours entre femmes. Jusque-là, la doctrine chrétienne sur l’homosexualité féminine était très pauvre.

1791

A la Révolution française, l’homosexualité n’est plus condamnée ni passible de la peine de mort : le code pénal abandonne le crime de sodomie entre adultes consentants. Le dernier « bûcher de Sodome » s’est déroulé en 1750. Jean Diot et Bruno Lenoir, surpris par le guet, rue Montorgueil à Paris, ont été brûlés en place de Grève, actuelle place de l’Hôtel de ville de Paris.

1804

Apparition du code pénal Napoléon : la majorité sexuelle est fixée à 15 ans pour les hétérosexuel-le-s et à 18 ans pour les homosexuel-le-s. La dépénalisation de l’homosexualité, initiée à la Révolution française, est confirmée. Cela reste difficilement acceptable dans la société. La notion d’ « atteinte publique à la pudeur », présente dans le code, sera souvent utilisée pour réprimer l’homosexualité. Ainsi, la police, par le biais de la brigade des mœurs, assimile l’homosexualité à la délinquance et à la criminalité (surveillance et fichage des personnes soupçonnées ou réellement homosexuelles). C’est la brigade des mœurs (service de renseignements créé au XVIIIème siècle) qui utilise son réseau pour obtenir des informations compromettantes, même si la répression fait aussi partie de ses attributions.

1861

En Angleterre, la peine de mort est commuée en une peine de prison pouvant aller de dix ans à la perpétuité. A la suite de plusieurs scandales, la législation est modifiée en 1885. Désormais, « tout acte outrageant les mœurs » entre deux hommes est passible d’une peine de prison pouvant s’élever jusqu’à deux ans de travaux forcés. Au titre de cette loi, l’écrivain Oscar Wilde est condamné en 1895 pour délit d’homosexualité à deux ans de travaux forcés. En 1967, une réforme décriminalise les relations homosexuelles privées. Son champ d’action est limité à l’Angleterre et au pays de Galles et ne s’applique pas à l’armée et à la marine. Durant toute cette période, les rapports entre femmes ne sont pas condamnés car non reconnus.

1869

Le mot « homosexualité » apparaît pour la première fois dans un écrit anonyme, en allemand, afin de plaider pour l’abandon de l’article 143 du code pénal prussien, condamnant les relations sexuelles entre hommes. Le terme « hétérosexualité », inventé en 1923, définit une « passion sexuelle morbide pour une personne du sexe opposé » (définition médicale du dictionnaire Webster). Il ne sera définitivement opposé au terme « homosexualité » qu’en 1934.

1871

Le code pénal de l’Empire allemand criminalise les actes sexuels entre hommes pour « obscénité contre nature » (Paragraphe 175). Les homosexuels arrêtés sont passibles de peines de prison. Il peut également être prononcé la perte des droits civiques. La répression n’est pas la même selon les régions. Berlin jouit par exemple d’une réputation de tolérance même si la police possédait des listes d’homosexuels, utilisées plus tard par les nazis. A la suite de la réunification allemande, le paragraphe 175 fut définitivement aboli le 11 juin 1994.

1880

L’homosexualité est médicalisée en France, même si elle n’est pas juridiquement condamnée. Elle a le statut de maladie mentale et de perversion sexuelle. Vers 1880, le Pr Charcot décrit le premier cas français d’ « inversion du sens génital ». Pendant plus d’un siècle, pour la médecine française, l’homosexualité n’est jamais normale mais toujours maladive.

1920-1930

Magnus Hirschfeld, médecin-sexologue, crée à Berlin l’institut de sexologie, notamment axé sur l’étude de l’homosexualité. En France, apparait alors la notion de « vice » allemand (par comparaison au « vice italien » de la Renaissance). Parmi les écrivains de cette époque, André Gide fut victime de critiques homophobes à la suite de la publication de « Corydon » (1925). On l’accusa d’exhibition de sa vie privée et de prosélytisme. On notera que l’homosexuel prosélyte, comme l’homosexualité relevant uniquement de la sphère privée, sont deux arguments que l’on a pu retrouver récemment encore (voir lors des débats sur le PaCS).

1933-1945

De 5 000 à 15 000 personnes sont internées par le régime nazi dans des camps de concentration pour homosexualité. 3000 à 9000 n’ont pas survécu. Les hommes y portaient des triangles roses, les femmes des triangles noirs.

Sous le régime de Vichy, la loi du 6 août 1942 passe la majorité sexuelle à 21 ans pour tou-te-s (art.334). L’article précise qu’en dessous de 21 ans, les relations sont passibles de peines de prison et d’une amende pour qui « (…) satisfai(t) ses propres passions, comm(et) un ou plusieurs actes impudiques ou contre nature avec un mineur de son sexe âgé de moins de vingt et un ans». Cependant, contrairement à la légende, Vichy n’a pas envoyé les homosexuels à la mort (en France, les seuls homosexuels déportés sont des Alsaciens-Mosellans directement soumis à l’article 175 du Code pénal allemand entre 1940 et 1944). La famille nombreuse est valorisée. L’avortement est puni de la peine de mort.

L’ordonnance du 8 février 1945 (art.331-2) limite la condamnation pour acte contre nature aux personnes ayant des relations avec des personnes de même sexe de moins de 21 ans. Le délit concernant une relation sexuelle avec une personne de l’autre sexe de moins de 21 ans est abandonné. La majorité sexuelle est fixée à 15 ans pour les relations hétérosexuelles.

1954

Ancien séminariste et professeur de philosophie, André Baudry fonde la revue Arcadie. Il reçoit le soutien de quelques écrivains connus pour leur homosexualité comme Jean Cocteau ou Roger Peyrefitte. Son projet est de donner une vision digne et respectable de l’homosexualité. Il faut éviter de choquer par tous les moyens. D’ailleurs, au terme homosexuel, Baudry préfère celui d’homophile. La revue est cependant interdite à la vente et condamnée pour « outrage aux bonnes mœurs » en 1956. Avec les années, certains commencent à se dire que la voie de la respectabilité n’est peut-être pas la bonne. Cette tentation d’un discours plus radical émergera dans l’après 1968 avec entre autres le FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire). Peu à peu, André Baudry sera dépassé à la fois par un milieu commercial de plus en plus sexué et en pleine expansion et un discours politique beaucoup plus contestataire. Il sera absent des mouvements qui conduiront à la dépénalisation.

1960

Le 18 juillet, adoption par l’Assemblée nationale de l’amendement Mirguet (du nom du député UNR de la Moselle qui en est l’auteur). Cet amendement classe l’homosexualité comme « fléau social » au même titre que la prostitution ou l’alcoolisme. Le gouvernement peut désormais recourir aux ordonnances pour toute mesure nécessaire contre l’homosexualité. Selon l’écrivain et journaliste Frédéric Martel, la violence symbolique de l’amendement Mirguet fut si forte que beaucoup d’homosexuels songèrent à quitter la France.

1968

L’homosexualité est classée comme maladie mentale, selon les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Contestation de la sexualité « normative » et amplification des mouvements féministes.

1969

Aux USA, les homosexuels sortent peu à peu d’une période très sombre. Entre le maccarthysme et le discours normatif d’une partie des psys, les années 1950/1960 sont vécues dans la douleur. Les bars homosexuels, même s’ils sont légalement tolérés depuis 1966, sont régulièrement victimes de descentes de police. Des fichiers homos sont constitués. Les clients subissent alors ce harcèlement devenu presque habituel. Le Stonewall Inn est un bar de Christopher Street dans le quartier de Greenwich Village à New York. Le soir du 27 juin, le bar connaît une nouvelle descente de police. Un mouvement de contestation de la part de la clientèle, rejointe par d’autres gays et lesbiennes, sera connu comme l’émeute de Stonewall. Elle durera trois jours. Cette contestation sera commémorée dès l’année suivante, à la même période, sous la forme d’une marche pacifiste, connue comme les futures Gay Pride (marches des fiertés) dans différents pays.

1971

Le 10 mars, l’émission de radio de Ménie Grégoire (RTL) intitulée « L’homosexualité, ce douloureux problème » est interrompue par des militant-e-s homosexuel-le-s. Création du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR), issu d’un rapprochement entre des féministes lesbiennes et des activistes gays et, dans la foulée, des Gouines Rouges, premier groupe militant lesbien en France. A la suite du FHAR, des groupes essaiment dans les principales villes de France, sous l’appellation de GLH (Groupes de libération homosexuelle). Plus tard, en 1979, est fondé le CUARH (Comité d’Urgence Anti-Répression Homosexuelle).

1977

Première marche homosexuelle indépendante à Paris à l’appel du Mouvement de Libération des Femmes et du Groupe de Libération Homosexuelle) (cf 1971). Les femmes seront majoritaires dans cette marche qui réunit environ 400 personnes rassemblées derrière une banderole : « Phallocratie, moralité, virilité, y’en a marre ». Il n’y aura pas de marche l’année suivante. Il faudra attendre 1979 pour qu’une deuxième marche autonome soit organisée à Paris. Le FAHR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, cf 1971) participait depuis 1971 aux manifestations syndicales du 1er mai.

Pour beaucoup l’ensemble de ce vocable peut paraître obscur et ne facilite pas la connaissance de ces communautés bien souvent victimes de discriminations. Ces discriminations, nées de l’ignorance et des préjugés sont aussi le fruit d’un héritage historique en termes d’accès aux droits.

L’opinion la plus commune veut que nous agissions toujours pour satisfaire un intérêt particulier. Ce serait donc, en un sens, l’égoïsme qui nous déterminerait à agir. La rubrique des « faits divers » ne confirme-t-elle pas d’ailleurs cette première impression, qui décline dans les plus hautes sphères de l’État, politiques, administratives et financières, et à travers les plus attristants scandales, sempiternellement le même fléau, celui, bien sûr, de la corruption ?

Le côté désintéressé de la force : Les femmes au cœur de l'innovation
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C’est dire comme jusque dans nos actions prétendument les plus désintéressées plane le plus inquiétant soupçon touchant leur rectitude morale. Pourtant, s’il est clair que nous serions bien naïfs de croire les hommes toujours sincères en leur aveu de vertu, faut-il pour autant renoncer à penser, premièrement la nature propre de l’action morale, et deuxièmement la possibilité d’une telle action ? Les hommes sont-ils absolument incapables de sacrifice, d’abnégation, de charité librement consentie ?

Que penser, alors, des héros, des martyrs et des saints ? Ne sont-ils que des imposteurs et des prestidigitateurs tentant vainement de maquiller leurs désirs, condamnés à agir encore et toujours par intérêt ? Mais dans ce cas, comment expliquer qu’ils aient pu délibérément choisir de se perdre ? Il y a là un problème qui mérite toute notre attention, et qui nous amènera pour ainsi dire à jouer Mandeville et Smith – et dans leur sillage Bentham – contre Kant. D’un côté donc la passion et son utilité sociale, l’égoïsme, que Luther déjà inscrivit au cœur de la réalité humaine, et de l’autre la vertu, le désintéressement et l’hypothétique force de l’idée du devoir vers quoi tend ce qui seul semble pouvoir la fonder, à savoir l’idée d’une force de l’idée [1]

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La vérité est une valeur honorée dans nos sociétés. Depuis que nous sommes enfants, la communauté nous répète qu’il faut dire la vérité. Mais pourquoi la vérité est-elle toujours demandée et recherchée? Le terme de vérité est un terme difficile à appréhender, son sens fluctuant dans l’histoire de la philosophie.

Une recherche de la vérité doit donc s’accompagner d’une réflexion critique, ce que la philosophie permet de faire.
Si il y a toujours des passions qui sous-tendent la recherche de la vérité, il est néanmoins nécessaire de les maîtriser et d’en prendre conscience.

Psychologies : Qu’est-ce qui vous a conduites, l’une et l’autre, à interroger la force des femmes ?

Sophie Cadalen : On a beau considérer l’égalité des sexes comme un acquis indiscutable, femme et pouvoir continuent d’être des termes antinomiques. Celles qui l’exercent sont accusées d’être « phalliques », comme si cette autorité appartenait nécessairement aux hommes. Dans ma pratique, je suis frappée de voir combien les femmes, toutes générations confondues, continuent de se heurter à des représentations du féminin qui les ligotent, les plongent dans des questionnements qui peuvent paraître dérisoires, mais qui sont terribles : est-ce que je peux coucher avec cet homme ? Est-ce que je peux laisser mes enfants, prendre du temps pour moi, gagner plus que mon conjoint ?… La psychanalyse est une entreprise de libération. On se cogne fatalement aux images et lieux communs qui freinent notre émancipation. À mon sens, la vraie puissance, celle qui nous rend charismatiques, motivés et motivants, c’est d’oser nos désirs profonds indépendamment de ce que nous croyons devoir être en tant que femme ou homme.

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Toute l’actualité en France et à l’international, décryptages et débats. L’Humanité, ♦ Désintoxication ♦ Invention ♦ Diabolisation ♦ Diversion. Si la non-violence est la loi de l’humanité, l’avenir appartient aux femmes. Qui peut faire appel au coeur des hommes avec plus d’efficacité que la femme.. DIANA UNLIMITED FAUNES ET FEMMES MAGAZINE est un magazine web qui place la femme au cœur de sa ligne rédactionnelle. Vous pouvez découvrir en temps réel toute l’actualité concernant les femmes et les actes qui les concernent. Quelles sont les rubriques de ce magazine féminin ? Pourquoi devriez-vous découvrir Culture Femme ? Ci-dessous quelques mots sur ce magazine web.

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Valérie Colin-Simard : Cette question de la puissance du féminin, je l’ai rencontrée dans mon propre parcours. Elle s’est posée à ma mère et à ma grand-mère avant moi. Ma grand-mère était non seulement licenciée ès sciences, mais aussi l’assistante de Marie Curie. Lorsqu’elle s’est mariée, mon grand-père l’a obligée à s’arrêter de travailler. À l’inverse, c’est ma mère qui pourvoyait à nos besoins, car mon père avait eu un accident cérébral. Elle m’a élevée dans l’idée qu’il fallait être indépendante financièrement, réussir professionnellement, serrer les dents. Elle était passée du côté des hommes, et je me souviens qu’elle regardait avec la plus grande condescendance ses amies femmes au foyer. Elle m’a ainsi transmis son mépris de ce qui, en moi, ressemblait de près ou de loin à une femme. Dans un premier temps, j’ai suivi le même chemin. Aujourd’hui, dans mon cabinet, je suis sidérée de voir le nombre de femmes qui, même brillantes professionnellement, s’accordent peu de valeur.

Comme moi autrefois, elles ont intériorisé les seules valeurs masculines de performance, de rationalité, de rentabilité, d’efficacité… et trouvent dévalorisantes celles que l’on associe au féminin. Par exemple, elles se coupent de ce qu’elles ressentent. Pour beaucoup d’entre elles, seul compte l’intellect. Des mots comme douceur ou vulnérabilité sont presque devenus des insultes. Et pourtant, exprimer ce que nous ressentons nous donne de la puissance. Nous ne le savons pas assez. Nous sommes tous à la fois puissants et vulnérables, homme et femme. Et notre force naît de l’acceptation de cette réalité.

S.C. : Ce malaise que vous décrivez, entre ce qu’elles s’efforcent d’être dans leur vie sociale et ce qu’elles sont dans leur intimité, ne me semble pas être l’apanage des femmes. Il est aussi le lot de beaucoup d’hommes qui ne se satisfont pas de la combativité, la dureté, l’investissement qu’on leur demande dans le contexte économique qui est le nôtre. De manière générale, il touche ceux qui sont aux prises avec un « devoir-être » homme ou femme dans lequel ils ne se reconnaissent pas.

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V.C.-S. : Je suis d’accord, les hommes aussi peuvent se sentir coupés du féminin. Mais ils commencent à se réconcilier avec leurs émotions. De plus en plus, ils osent se montrer vulnérables. Les femmes, beaucoup moins. Elles mettent un point d’honneur à ne dépendre de personne. Certaines de mes patientes cherchent refuge dans la nourriture, seul soutien qu’elles s’accordent, et deviennent boulimiques. D’autres portent à bout de bras carrière et vie de famille sans s’autoriser à demander de l’aide à leur mari ou à leur entourage. Dans mon livre, j’invite les femmes à oser s’appuyer sur leurs vulnérabilités et à en découvrir la puissance.

Ce qui vous gêne, Sophie Cadalen, n’est-ce pas d’associer les qualités dont nous parlons à des pôles masculin ou féminin ?

S.C. : Je reconnais que nous sommes dans la dualité et l’ambivalence, tantôt forts ou faibles, dans la rationalité ou dans l’émotion. Freud préférait parler d’« actif » et de « passif » que de masculin ou de féminin, termes qui pouvaient prêter à confusion. Ce qui me dérange dans le fait de mettre la dureté, la force, la rationalité du côté des hommes, et l’intuition, la tendresse ou l’abandon du côté des femmes, c’est qu’on laisse croire à des « natures », masculine et féminine, fondées sur des différences physiques. Je préfère l’image chinoise du yin et du yang, symbolisant ces énergies complémentaires qui nous traversent dans un tourbillon propre à chacun.

V.C.-S. : Mais ces valeurs nous sont précieuses, elles sont une grille de lecture du monde et de nous-mêmes ! Parmi mes patientes, une chef d’entreprise ne comprenait pas pourquoi ses ordres n’étaient pas exécutés. Le jour où elle a osé dire : « Je suis inquiète pour la survie de l’entreprise, j’y ai pensé toute la nuit et j’ai vraiment besoin de votre soutien », ses employés se sont mis à coopérer. Savoir s’appuyer sur son féminin nous donne de la puissance. C’est aussi vrai pour les hommes. Notre nature profonde à tous, c’est d’être homme et femme à la fois. Il est urgent de retrouver l’équilibre entre ces deux facettes de notre être. Je parle évidemment du masculin et du féminin comme de principes, en aucun cas de dispositions naturelles.

S.C. : Pourquoi alors employer ces termes ? Ils entretiennent une forme de conditionnement. J’entendais ce matin à la radio un bout d’émission où il était question d’écologie. L’un des invités affirmait que la terre était le combat des femmes parce qu’elle était la mère matrice, ajoutant d’un ton faussement repentant : « Laissons la politique et l’économie aux hommes, elles ont bien mieux à faire. » Mais qui est cet homme pour me dire que je dois m’occuper de la terre, et laisser les entreprises aux hommes ? Ce type de discours est la conséquence logique des distinctions que vous faites.

On a beaucoup reproché à Margaret Thatcher de se montrer plus impitoyable qu’un homme, ou à Ségolène Royal de mettre en avant son identité de mère. Le pouvoir se conjugue-t-il différemment selon qu’il est masculin ou féminin ?

V.C.-S. : Le féminin n’est pas le seul apanage des femmes. Je me souviens du débat télévisé qui a opposé Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy entre les deux tours de la présidentielle. Avant de commencer, Patrick Poivre d’Arvor leur avait demandé comment ils se sentaient. Ségolène Royal a répondu d’un air pincé : « Très bien, très fière d’être ici, très heureuse, merci ! » Nicolas Sarkozy, lui, a osé développer ce qu’il ressentait, et cela lui a donné plus de présence. Il s’est appuyé sur son féminin.

S.C. : La féminité des femmes de pouvoir est sans cesse questionnée. Elle n’est jamais à la bonne place. Dans un magazine américain, il a été reproché à Hillary Clinton d’avoir
versé une larme en public. Elle aurait usé de son féminin de façon déloyale, comme on le reproche aussi à Rama Yade. Qu’elles en usent trop ou pas assez, le charme des femmes de pouvoir pose toujours problème. Celui de Barak Obama, lui, est reconnu comme une qualité supplémentaire. De leur côté, elles essuient des insultes d’une rare violence. Celles qui s’en sortent le mieux sont celles qui les laissent glisser pour revenir à leurs convictions politiques. Ségolène Royal a fait l’erreur d’entrer dans le jeu de la justification, d’en appeler à son ventre quand ce n’était pas le propos. Pas étonnant qu’on lui ait renvoyé cette question déplacée : « Qui va s’occuper des enfants ? »

On a récemment parlé d’affrontements en banlieue impliquant des gangs de filles, pour pointer le fait qu’elles deviennent aussi violentes que les garçons. Les filles justifient leur agressivité en avançant qu’il manque des figures positives. En gros, elles refusent d’incarner une féminité dominée.

V.C.-S. : La femme a été libérée dans la société, pas dans l’intimité. Nos grilles de lecture du féminin n’ont pas changé, nous les avons héritées de l’idéologie patriarcale : la maman et la putain. Ces carcans ne sont pas nouveaux.

N’avez-vous pas le sentiment qu’en associant le féminin à la douceur vous ne pouvez qu’agacer celles qui ne veulent pas être résumées à ça ?

V.C.-S. : Je ne dis pas aux femmes d’être seulement dans la douceur ! Je leur dis qu’elles ont le droit d’être fermes et douces à la fois. Je les invite à ne plus jouer le seul jeu des valeurs masculines et aussi à oser se réapproprier des valeurs du féminin telles que l’émotion, le lien, oser prendre le temps…

S.C. : Mais qui décide de ce qui est masculin ou féminin ? Sur quoi vous fondez-vous ?

V.C.-S. : Ces notions sont présentes et définies dans toutes les traditions spirituelles ou presque. Un livre, Le Sexe des âmes(1) de Charles Mopsik, montre ainsi la place des principes féminin et masculin dans le Talmud et la Kabbale. Dans le christianisme, les évangiles apocryphes nomment également le féminin et le masculin. Dans mon livre, j’ai voulu mettre ces concepts spirituels au service de la psychologie

S.C. : Les références à la religion nous mènent sur une pente glissante. Elles renvoient à des figures qui sont, pour moi, le prolongement fantasmatique des parents tout-puissants. Or, à mon sens, grandir, devenir adulte, élaborer sa propre masculinité ou féminité et trouver sa force supposent de pouvoir s’émanciper de ces imagos de père et de mère, dont on ne s’affranchit jamais complètement, mais qu’il faut pouvoir questionner pour être dans son propre désir.

1. Le Sexe des âmes de Charles Mopsik (Éditions de l’Éclat, 2003).

Ce qui est intéressant, c’est de comprendre pourquoi on continue de s’accrocher à ces images…

S.C. : Parce qu’elles donnent aux hommes et aux femmes un pouvoir auquel ils ne veulent pas renoncer. Celui, pour les premiers, de maintenir leur position de force dans la société et sur les femmes; celui, pour les secondes, de garder la mainmise sur le foyer et les enfants. Cet attachement est inconscient et n’empêche pas de s’élever en toute bonne foi contre la discrimination faite aux femmes. La psychanalyse nomme « phallus » cette puissance autour de laquelle nous construisons nos identités. C’est un symbole, celui du désir en érection. Ces phallus sont nombreux, chaque sexe brandit les siens : l’argent, la grosse voiture, la maternité, ou cette fameuse intuition féminine…

Mais, que la voiture explose, que l’intuition échoue, que la beauté se fane, et cette prétendue supériorité fond comme neige au soleil. La véritable force, celle que chaque individu, quel que soit son sexe, peut trouver, est celle qui n’est pas dupe de ces phallus, qui sait s’en servir sans s’identifier à eux, et qui s’appuie sur ses désirs singuliers. Dès lors, une femme sera puissante, qu’elle choisisse de planter des salades ou d’être entretenue par un homme. Sa force ne sera ni masculine ni féminine, elle sera celle de son désir.

V.C.-S. : Pour moi, si nous continuons de nous accrocher à ces images, c’est parce
que nous en avons besoin. Elles véhiculent un certain nombre de valeurs qui sont les
lunettes à travers lesquelles nous regardons le monde. Ces lunettes, nous avons aujourd’hui la liberté de les changer. Je voulais au départ intituler mon livre « Dieu est aussi une femme ». C’est écrit noir sur blanc dans la Bible : « Dieu a fait l’homme à Son image, homme et femme, Il le créa ». Il est donc, aussi, une femme. Et ce n’est jamais dit. Cela signifie que les valeurs du féminin sont en réalité aussi importantes que celles du masculin. Oser le féminin, c’est oser être soi.