Au cours des dernières décennies, on a pu observer dans chaque génération, des styles différents se marquant dans les aspirations, les représentations, les comportements. S’il y a bien un mouvement dans la durée où se marque une orientation globale, il y a une dominante particulière dans chaque génération. Et certaines d’entre elles, comme la génération qui a participé aux évènements de la fin des années 1960, à travers le moment de 1968, est perçue comme une génération innovante par les sociologues et les historiens.

Dans la perspective des mutations en cours dans nos sociétés, le mouvement se poursuit. Assurément, la mondialisation, la révolution numérique, la prise de conscience écologique ne peuvent pas se développer sans marquer les esprits. Et c’est ainsi qu’on parle aujourd’hui d’une génération Y qui rassemble les jeunes nés dans les années 1980 et 1990. Les changements de mentalité sont rapides et on évoque déjà une prochaine génération Z.
Cependant, notons d’emblée que si les enquêtes mettent bien en évidence des inflexions, la jeunesse n’est pas homogène dans ses conditions sociales et son rapport à la société, et donc dans ses comportements. Si cette réalité appelle la prudence dans les généralisations, il n’en est pas moins vrai qu’on peut constater des changements de mentalité sensibles dans certaines portions des jeunes générations, particulièrement dans le groupe le plus instruit.
Les aspirations nouvelles interpellent les institutions. Elles font irruption dans la vie professionnelle où elles remettent en question les cadres dominants et les institutions établies. Ainsi la génération Y manifeste une recherche de sens et un désir d’accomplissement. La génération suivante poursuit le mouvement vers une recherche accrue d’autonomie et d’initiative.
En Europe, de nombreuses personnes sont montrées du doigt en raison de leur orientation sexuelle, réelle ou perçue, ou de leur identité de genre; de ce fait, elles ne peuvent exercer pleinement leurs droits de l’homme universels. Certaines sont victimes de crimes de haine et ne sont pas toujours protégées contre des agressions pouvant être commises, parfois en pleine rue, par leurs concitoyens.
Parallèlement, les organisations qui les représentent peinent à être reconnues ou à obtenir l’autorisation d’organiser des réunions et des rassemblements pacifiques. Parmi ces personnes, certaines se sont réfugiées dans des Etats membres du Conseil de l’Europe pour fuir des pays où elles risquaient d’être torturées ou exécutées en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Pourtant, rares sont les leaders d’opinion et les responsables politiques qui ont fermement pris position contre la discrimination, la violence et les autres manifestations d’homophobie et de transphobie.
Le pédophile violeur et meurtrier cristalliserait aujourd’hui la figure de l’inadmissible dans nos représentations. Les crimes sexuels, longtemps gardés dans le secret des familles, représentaient entre 1826 et 1840 un cinquième de la criminalité officielle, contre la moitié aujourd’hui. L’abuseur sexuel, même pédophile, a longtemps été toléré par les populations, dès lors qu’il ne s’en prenait pas aux fillettes ou garçons protégées par un statut.
Ce crime fut longtemps pourtant perçu comme un délit sans victime, donc sans peine. Aujourd’hui, les « agressions sexuelles » (art. 222-22 du Code pénal), selon la nouvelle incrimination nettement plus explicite que l’ancien « attentat », rassemblent des atteintes perçues comme insupportables à l’intégrité physique et psychique de la personne dont le consentement a été nié. Les poursuites contre ce type de délinquance ont été multipliées par quatre en 1980 et 2009. Plus de 9 000 personnes sont actuellement détenues en France pour crime ou délit sexuel.
L’abus sur enfants ou jeunes femmes renvoie à la figure du récidivisme, imprévisibilité, diffusion supposée dans le corps social alors que notre société « assurancielle » (Pascal Bruckner) n’admet plus le risque. Le pédophile serait partout parmi nous, comme les voleurs alimentaient l’imaginaire d’une « armée du crime » au XIXe siècle. L’affaire d’Outreau a ranimé la hantise du complot, du trafic d’enfants jusque dans les rangs des magistrats…

Voici quelques rappels historiques qui reprennent les événements ou périodes les plus marquants sur le sujet.
PÉRIODE DE L’ANTIQUITÉ
Dans la société grecque de l’Antiquité, le pouvoir était essentiellement détenu par les hommes. Les femmes sortaient peu et y assumaient leurs taches d’épouse et de mère. L’érotisation des rapports entre hommes était possible mais très codifiée. Ils étaient envisageables mais devaient suivre certaines règles. Celui qui détenait le pouvoir social devait être pénétrant dans le rapport (L’adulte avait le pouvoir sur le plus jeune, le citoyen libre sur l’esclave). D’autre part, le choix de ces relations homosexuels étaient l’apanage des classes sociales dominantes et étaient limitées dans le temps. Cette approche se retrouve chez certaines populations pour lesquelles le fait d’assumer le rôle pénétrant dans une relation avec un autre homme ne fait pas de vous un homosexuel. Des termes comme « lesbienne » ou « saphisme » viennent de Sapho, une poétesse qui vécut dans l’île de Lesbos à la fin du VIIe siècle av. JC. Elle célébrait le désir et l’amour des femmes entre elles.
PÉRIODE MOYEN-AGE
Si, au début du Moyen Age, l’homosexualité est tolérée, elle est par la suite condamnée par l’Eglise. Le 3ème concile du Latran (1179), canon 11, précise : « Tous ceux qui seront convaincus de se livrer à cette incontinence contre nature, seront chassés du clergé s’ils sont clercs, ou relégués dans des monastères pour y faire pénitence […]. Plus tard, l’homosexualité, considérée comme une hérésie, peut aboutir parfois à une condamnation à mort par le bûcher.
PÉRIODE RENAISSANCE
A cette période, l’art est, en partie, sous influence italienne. Les relations sexuelles entre hommes sont perçues comme le « vice » italien. Le « mal » vient de l’étranger. L’influence religieuse s’accentue. Certains rois ont leurs « mignons », privilège de la haute société. C’est également à la Renaissance que se met en place un discours hostile aux amours entre femmes. Jusque-là, la doctrine chrétienne sur l’homosexualité féminine était très pauvre.
1791
A la Révolution française, l’homosexualité n’est plus condamnée ni passible de la peine de mort : le code pénal abandonne le crime de sodomie entre adultes consentants. Le dernier « bûcher de Sodome » s’est déroulé en 1750. Jean Diot et Bruno Lenoir, surpris par le guet, rue Montorgueil à Paris, ont été brûlés en place de Grève, actuelle place de l’Hôtel de ville de Paris.
1804
Apparition du code pénal Napoléon : la majorité sexuelle est fixée à 15 ans pour les hétérosexuel-le-s et à 18 ans pour les homosexuel-le-s. La dépénalisation de l’homosexualité, initiée à la Révolution française, est confirmée. Cela reste difficilement acceptable dans la société. La notion d’ « atteinte publique à la pudeur », présente dans le code, sera souvent utilisée pour réprimer l’homosexualité. Ainsi, la police, par le biais de la brigade des mœurs, assimile l’homosexualité à la délinquance et à la criminalité (surveillance et fichage des personnes soupçonnées ou réellement homosexuelles). C’est la brigade des mœurs (service de renseignements créé au XVIIIème siècle) qui utilise son réseau pour obtenir des informations compromettantes, même si la répression fait aussi partie de ses attributions.
1861
En Angleterre, la peine de mort est commuée en une peine de prison pouvant aller de dix ans à la perpétuité. A la suite de plusieurs scandales, la législation est modifiée en 1885. Désormais, « tout acte outrageant les mœurs » entre deux hommes est passible d’une peine de prison pouvant s’élever jusqu’à deux ans de travaux forcés. Au titre de cette loi, l’écrivain Oscar Wilde est condamné en 1895 pour délit d’homosexualité à deux ans de travaux forcés. En 1967, une réforme décriminalise les relations homosexuelles privées. Son champ d’action est limité à l’Angleterre et au pays de Galles et ne s’applique pas à l’armée et à la marine. Durant toute cette période, les rapports entre femmes ne sont pas condamnés car non reconnus.
1869
Le mot « homosexualité » apparaît pour la première fois dans un écrit anonyme, en allemand, afin de plaider pour l’abandon de l’article 143 du code pénal prussien, condamnant les relations sexuelles entre hommes. Le terme « hétérosexualité », inventé en 1923, définit une « passion sexuelle morbide pour une personne du sexe opposé » (définition médicale du dictionnaire Webster). Il ne sera définitivement opposé au terme « homosexualité » qu’en 1934.
1871
Le code pénal de l’Empire allemand criminalise les actes sexuels entre hommes pour « obscénité contre nature » (Paragraphe 175). Les homosexuels arrêtés sont passibles de peines de prison. Il peut également être prononcé la perte des droits civiques. La répression n’est pas la même selon les régions. Berlin jouit par exemple d’une réputation de tolérance même si la police possédait des listes d’homosexuels, utilisées plus tard par les nazis. A la suite de la réunification allemande, le paragraphe 175 fut définitivement aboli le 11 juin 1994.
1880
L’homosexualité est médicalisée en France, même si elle n’est pas juridiquement condamnée. Elle a le statut de maladie mentale et de perversion sexuelle. Vers 1880, le Pr Charcot décrit le premier cas français d’ « inversion du sens génital ». Pendant plus d’un siècle, pour la médecine française, l’homosexualité n’est jamais normale mais toujours maladive.
1920-1930
Magnus Hirschfeld, médecin-sexologue, crée à Berlin l’institut de sexologie, notamment axé sur l’étude de l’homosexualité. En France, apparait alors la notion de « vice » allemand (par comparaison au « vice italien » de la Renaissance). Parmi les écrivains de cette époque, André Gide fut victime de critiques homophobes à la suite de la publication de « Corydon » (1925). On l’accusa d’exhibition de sa vie privée et de prosélytisme. On notera que l’homosexuel prosélyte, comme l’homosexualité relevant uniquement de la sphère privée, sont deux arguments que l’on a pu retrouver récemment encore (voir lors des débats sur le PaCS).
1933-1945
De 5 000 à 15 000 personnes sont internées par le régime nazi dans des camps de concentration pour homosexualité. 3000 à 9000 n’ont pas survécu. Les hommes y portaient des triangles roses, les femmes des triangles noirs.
Sous le régime de Vichy, la loi du 6 août 1942 passe la majorité sexuelle à 21 ans pour tou-te-s (art.334). L’article précise qu’en dessous de 21 ans, les relations sont passibles de peines de prison et d’une amende pour qui « (…) satisfai(t) ses propres passions, comm(et) un ou plusieurs actes impudiques ou contre nature avec un mineur de son sexe âgé de moins de vingt et un ans». Cependant, contrairement à la légende, Vichy n’a pas envoyé les homosexuels à la mort (en France, les seuls homosexuels déportés sont des Alsaciens-Mosellans directement soumis à l’article 175 du Code pénal allemand entre 1940 et 1944). La famille nombreuse est valorisée. L’avortement est puni de la peine de mort.
L’ordonnance du 8 février 1945 (art.331-2) limite la condamnation pour acte contre nature aux personnes ayant des relations avec des personnes de même sexe de moins de 21 ans. Le délit concernant une relation sexuelle avec une personne de l’autre sexe de moins de 21 ans est abandonné. La majorité sexuelle est fixée à 15 ans pour les relations hétérosexuelles.
1954
Ancien séminariste et professeur de philosophie, André Baudry fonde la revue Arcadie. Il reçoit le soutien de quelques écrivains connus pour leur homosexualité comme Jean Cocteau ou Roger Peyrefitte. Son projet est de donner une vision digne et respectable de l’homosexualité. Il faut éviter de choquer par tous les moyens. D’ailleurs, au terme homosexuel, Baudry préfère celui d’homophile. La revue est cependant interdite à la vente et condamnée pour « outrage aux bonnes mœurs » en 1956. Avec les années, certains commencent à se dire que la voie de la respectabilité n’est peut-être pas la bonne. Cette tentation d’un discours plus radical émergera dans l’après 1968 avec entre autres le FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire). Peu à peu, André Baudry sera dépassé à la fois par un milieu commercial de plus en plus sexué et en pleine expansion et un discours politique beaucoup plus contestataire. Il sera absent des mouvements qui conduiront à la dépénalisation.
1960
Le 18 juillet, adoption par l’Assemblée nationale de l’amendement Mirguet (du nom du député UNR de la Moselle qui en est l’auteur). Cet amendement classe l’homosexualité comme « fléau social » au même titre que la prostitution ou l’alcoolisme. Le gouvernement peut désormais recourir aux ordonnances pour toute mesure nécessaire contre l’homosexualité. Selon l’écrivain et journaliste Frédéric Martel, la violence symbolique de l’amendement Mirguet fut si forte que beaucoup d’homosexuels songèrent à quitter la France.

1968
L’homosexualité est classée comme maladie mentale, selon les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Contestation de la sexualité « normative » et amplification des mouvements féministes.
1969
Aux USA, les homosexuels sortent peu à peu d’une période très sombre. Entre le maccarthysme et le discours normatif d’une partie des psys, les années 1950/1960 sont vécues dans la douleur. Les bars homosexuels, même s’ils sont légalement tolérés depuis 1966, sont régulièrement victimes de descentes de police. Des fichiers homos sont constitués. Les clients subissent alors ce harcèlement devenu presque habituel. Le Stonewall Inn est un bar de Christopher Street dans le quartier de Greenwich Village à New York. Le soir du 27 juin, le bar connaît une nouvelle descente de police. Un mouvement de contestation de la part de la clientèle, rejointe par d’autres gays et lesbiennes, sera connu comme l’émeute de Stonewall. Elle durera trois jours. Cette contestation sera commémorée dès l’année suivante, à la même période, sous la forme d’une marche pacifiste, connue comme les futures Gay Pride (marches des fiertés) dans différents pays.
1971
Le 10 mars, l’émission de radio de Ménie Grégoire (RTL) intitulée « L’homosexualité, ce douloureux problème » est interrompue par des militant-e-s homosexuel-le-s. Création du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR), issu d’un rapprochement entre des féministes lesbiennes et des activistes gays et, dans la foulée, des Gouines Rouges, premier groupe militant lesbien en France. A la suite du FHAR, des groupes essaiment dans les principales villes de France, sous l’appellation de GLH (Groupes de libération homosexuelle). Plus tard, en 1979, est fondé le CUARH (Comité d’Urgence Anti-Répression Homosexuelle).
1977
Première marche homosexuelle indépendante à Paris à l’appel du Mouvement de Libération des Femmes et du Groupe de Libération Homosexuelle) (cf 1971). Les femmes seront majoritaires dans cette marche qui réunit environ 400 personnes rassemblées derrière une banderole : « Phallocratie, moralité, virilité, y’en a marre ». Il n’y aura pas de marche l’année suivante. Il faudra attendre 1979 pour qu’une deuxième marche autonome soit organisée à Paris. Le FAHR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, cf 1971) participait depuis 1971 aux manifestations syndicales du 1er mai.
Pour beaucoup l’ensemble de ce vocable peut paraître obscur et ne facilite pas la connaissance de ces communautés bien souvent victimes de discriminations. Ces discriminations, nées de l’ignorance et des préjugés sont aussi le fruit d’un héritage historique en termes d’accès aux droits.
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