
By Diana ABDOU
Oui! La subjectivité des goûts, à laquelle vous faites référence, signifie ici que différents individus peuvent avoir différents jugements, ou différentes impressions, au sujet de la valeur esthétique ou gustative d’une même chose. L’un peut trouver gracieux un danseur qu’un autre trouvera pataud, l’un peut juger infect un vin dont un autre se régalera, l’un peut trouver élégantes et raffinées les chansons de Michel Sardou que l’autre trouvera kitsch et vulgaires.
Un jugement en général ce qui est dit du jugement de goût. Tout jugement présuppose un principe subjectif qui est celui du goût. Ainsi l’Esthétique prend-elle une place centrale dans l’ensemble des Critiques kantiennes.
Il ne faut pas confondre le principe subjectif de la faculté de juger avec le jugement logique. Le jugement logique obéit à des concepts de l’objet, ce qui n’est pas le cas de la faculté de juger. Celle-ci, qui est la capacité même de former des jugements, prétend à une universalité, mais sans se soumettre à l’objet. Il y a donc une importante variabilité des jugements et impressions de goût. Cela implique-t-il pour autant que l’on ne puisse avoir bon goût? Loin de là! Que les avis sur une chose divergent n’implique en rien que cette chose soit subjective. Qu’un daltonien voie marron un drap vert n’implique pas que le drap ne soit ni vert ni marron, qu’il soit impossible d’avoir une impression correcte au sujet de la couleur du drap. Qu’un phobique s’effraie devant une araignée n’implique pas que l’araignée représente un danger pour lui, ni qu’il n’y ait pas de réponse objective à la question de savoir quelles araignées sont dangereuses. Il pourrait en aller de même pour les goûts: lorsque deux personnes ne sont pas d’accord sur la valeur esthétique d’une même chose, il se peut que l’un se trompe et que l’autre ait raison.
En mode rien ne meurt, d’où le fait que certaines tendances refassent surface de façon imprévisible et remettent sur le devant de la scène certaines pièces considérées autrefois comme ringardes. L’explication ? L’influence des podiums qui y sont pour beaucoup puisque c’est là où se font et se défont les tendances. Dévoilées lors des Fashion Weeks, les collections réservent parfois quelques surprises. Les créateurs n’hésitent pas en effet à y réhabiliter des pièces longtemps jugées comme démodées, souvent assimilées à des articles dits de “mauvais goût”, en prenant le risque d’être critiqués.
Même si nous répétons à l’envi que les goûts et les couleurs ne se discutent pas, nous en discutons en fait beaucoup, et bon nombre de nos actions suggèrent que nous pensons tacitement qu’il y a, en matière de goût comme en matière de couleur, un bon goût, une bonne perception. Inscririons-nous nos enfants à des cours de musique, de danse ou de dessin, suivrions-nous des formations d’oenologie ou d’histoire de l’art, débattrions-nous avec tant de vigueur de la supériorité des chocolats suisses sur les chocolats belges si nous ne présupposions pas, implicitement, qu’il y a en ces matières quelqu’objectivité? Même si nous versons souvent volontiers dans le relativisme lorsqu’on nous demande s’il y a un bon goût, nos comportements manifestent eux, à l’encontre de tels jugements réfléchis, que nous admettons souvent en ces matières une forme d’objectivité.
On craint parfois que la thèse présente, selon laquelle certains goût sont meilleurs – plus appropriés – que d’autres n’implique une forme de dogmatisme ou de police du bon goût. Mais il ne faut pas confondre la thèse selon laquelle certains jugement de goûts sont appropriés et d’autres pas, avec la thèse selon laquelle nous savons quels jugements de goûts le sont. De façon analogue, le fait d’admettre que certaines propositions au sujet du monde soient vraies ou fausses, n’implique pas que nous nous sachions lesquelles le sont. De même que c’est peut-être parce que nous présupposons qu’il y a certaines vérités, que nous partons à leur recherche, c’est peut-être parce que présupposons qu’on peut avoir bon goût que nous cherchons à éduquer le nôtre.
Et si le mauvais goût était subjectif ?
Si le jogging à la ville était il y a encore quelques mois catalogué comme un vêtement de mauvais goût par les journalistes de mode, on le retrouve désormais au rang de “must have”. Stars ou blogueuses, nombreuses sont les femmes qui se mettent à l’adopter le week-end pour un look à la cool, en le féminisant et en optant pour une coupe qui met en valeur la silhouette. Même regain d’intérêt du côté des Birkenstock, comble du mauvais goût pour certaines et pourtant bel et bien tendance en 2020. Un constat qui nous amène à nous interroger sur la définition du “mauvais goût”. Ne serait-il pas lié au goût de tout un chacun ?