
«C’est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c’est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: cestcomplique@slate.fr.
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Chère Lucile,
Je m’appelle Jeanne, 54 ans. Divorcée sans trauma depuis huit ans, maman d’un garçon de 14 ans dont le père vit à l’étranger.
Après mon divorce, j’ai eu l’impression de sortir d’un long coma et j’ai eu envie de légèreté. J’ai fait beaucoup de rencontres par l’intermédiaire d’internet. Certaines éphémères et d’autres qui ont duré. Le sentiment de liberté était grisant. Entre 2012 et 2016 j’ai vécu une, puis deux, puis trois relations simultanées, chacune avec des sentiments forts et réciproques, chacune totalement différente, mais complémentaires. Comme on peut le vivre en polyamour j’imagine, sauf que je cachais tout par peur de perdre l’un ou l’autre de mes partenaires.
Ce fut une période compliquée mais exaltante. Puis deux de mes amants, qui n’étaient pas libres, se sont libérés pour moi, non sans dégâts collatéraux pour l’un d’eux –sans que je ne demande jamais rien. Et chacun voulait plus… légitimement. J’ai commencé à perdre pied, à être pétrie d’angoisse à l’idée de devoir affronter le moment inévitable où je devais dire toute la vérité. Ce que j’ai fini par faire en frôlant de près la dépression grave. Je venais de faire ce qu’il y a de plus ignoble à mes yeux: faire égoïstement souffrir des personnes que j’aimais profondément.
J’aurais dû, à l’époque, affronter la solitude pour me retrouver et me rassembler. Mais j’étais tellement fragilisée et écrasée de culpabilité que lorsque mon premier amant, dévasté lui aussi, m’a contactée, j’ai cédé au besoin de réconfort.
Me voici donc depuis quatre ans dans une relation de couple que j’ai maintenue sur le mode «chacun chez soi» avec cet homme, dix ans plus âgé que moi, qui me vénère (le mot n’est pas trop fort) et qui je pense est très dépendant de moi à beaucoup de points de vue. Il ne demanderait qu’à vivre avec moi. Des liens solides se sont tissés entre lui et mon fils qui le considère un peu comme un deuxième papa. Seulement, je ne m’épanouis pas du tout dans cette relation confortable, mais très peu complice, avec un homme que j’ai aimé mais que je n’ai pas choisi à l’origine comme un partenaire de vie.
J’ai énormément d’affection et de tendresse –dirais-je même de compassion– pour lui, mais aucune complicité intellectuelle, amoureuse, plus de désir cérébral et physique de ma part. Nous nous rendons mutuellement beaucoup de services mais je m’en veux de ne pas lui donner ce qu’il attend vraiment de moi. Il a appris à s’en contenter. Je m’en veux pour tout ce que j’ai fait et je me dis que je n’ai que ce que je mérite pour avoir manqué de courage et d’honnêteté.
J’ai commencé à libertiner à son insu depuis peu. Partant du principe que je n’ai qu’une vie, que le temps passe très vite, que je m’enterre à nouveau, que je n’appartiens à personne et que je n’ai fait de promesse à personne. Je ne cherche pas de nouvel attachement, mais c’est un risque à prendre: je cherche simplement à vivre pleinement mes désirs. Je suis convaincue que la fidélité physique est contre-nature, que la solitude (intérieure du moins) est le prix de la liberté et que l’autosacrifice ne peut conduire qu’à l’aigreur.
Je sais que je devrais lui en parler, je ne veux plus jouer le jeu de la dissimulation, de l’angoisse et de la culpabilité. Je le sais capable d’accepter, comme de tout rejeter. Je sais que cela fera mal à nouveau. À lui d’abord, puis si notre histoire s’achève, à l’image du couple et de l’engagement que je construis ou que je déconstruis pour mon fils.
J’ai l’impression de vouloir tout avoir, d’être terriblement égoïste –et je n’ai personne à qui parler.
Jeanne
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Chère Jeanne,
Je sais que ça ne vous avancera pas à grand-chose mais il est tout à fait possible de tout avoir. C’est en fait une aspiration que nous devrions avoir toutes et tous, celle de trouver quelqu’un avec qui partager une vie qui nous ressemble et nous convient vraiment. Pour moi, c’est même une condition sine qua non du couple. Je suis convaincue que nous devrions, et spécifiquement nous, les femmes, mettre la barre plus haut en matière de relations amoureuses. On ne peut pas rester avec quelqu’un juste parce qu’il est gentil ou dévoué. On ne peut pas passer des années avec une personne avec qui il n’y a simplement pas de conflit. Où passent alors le désir, la passion, l’envie de partager et d’évoluer ensemble?
Il n’y a aucun mal à remettre en cause la monogamie. C’est même une très bonne chose que ce concept soit remis en cause et que des alternatives soient vécues et racontées pour permettre à chacun de trouver sa propre voie. Ce qui me dérange, c’est que cette remise en cause s’associe bien trop souvent avec la dissimulation. Chez les libertins comme chez les polyamoureux, on cultive pourtant des valeurs d’honnêteté (et vous pouvez vous méfier de celles et ceux qui ne le font pas).
Il n’est tout simplement question que de respect de l’autre, de consentement, de sentiment (puisque, quand on aime, on ne désire pas faire souffrir). Cette conversation avec votre conjoint que vous redoutez mais à laquelle vous avez déjà réfléchi pourrait bien voir son issue bouleversée par la façon dont vous tournez les choses. Pourquoi ne pas dire «c’est parce que je t’aime et que je te respecte que je veux te dire qui je suis et ce dont j’ai besoin», voire de proposer que certaines de vos activités libertines soient partagées avec lui, s’il en a envie. Ne fermez aucune porte, laissez-lui le choix. Et mettez en avant combien il est difficile, dans notre société et quand on a vécu une grande partie de sa vie avec le modèle de couple classique, de parler ainsi. Vous prenez un risque en lui partageant vos doutes et vos désirs.
Mais vous savez aussi que vous en prenez un en vivant une vie cachée. Vous prenez le risque de voir grandir du ressentiment et de la frustration, de ne vivre plus que pour les moments volés, de créer un clivage entre votre quotidien traditionnel et vos incartades. Cette relation que vous ne voulez pas voir finir, elle pourrait bien souffrir autant de vos dissimulations que de votre honnêteté. Ce serait juste une souffrance longue, pour vous principalement, avant de mener à la même conclusion.
Ce dont vous avez besoin ici, puisque vous savez déjà ce dont vous avez envie, c’est de courage. Une vie cachée ne mène souvent qu’à de la souffrance. Cette souffrance est juste homéopathique. C’est le principe de la grenouille ébouillantée. Vous avez l’impression qu’une discussion difficile est une épreuve bien trop grande… mais je vous assure, moi, que chaque fois que vous décidez de cacher qui vous êtes, vous vous assurez lentement mais sûrement de vous éloigner un peu plus de celui qui partage votre vie.
Il n’est pas trop tard pour inverser ce mouvement et tenter de vivre une vie qui vous ressemble, partagée avec les personnes avec qui vous voulez la partager. S’il décide de ne pas vous suivre dans l’aventure… alors vous aurez gagné du temps, de la tranquillité d’esprit et votre liberté. Rien ne vous empêchera ensuite de vous mettre en couple avec quelqu’un qui partage vos valeurs.
«C’est compliqué», c’est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes:
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